Le chat et le chihuahua

Une histoire presque vraie

Sa nourriture fondamentale c’est la sieste, dirait-on. Faire table rase du moindre effort, si ce n’est respirer et rester vautré. Même si cela ne va pas plaire à tout le monde, cette action est sacrée chez les félins qui, comme des moines tibétains, prodiguent de bonnes vibrations sur la terre en pratiquant leur médiation assise et immobile. Alors pourquoi y en a-t-il qui pensent que ces braves êtres sont des fainéants ? Ne voient-ils pas l’effort qu’ils font pour extirper les mauvais esprits qui rôdent en quête d’âmes humaines à tourmenter ?

Gaspard le chat est sur le pas de porte, vautré de tout son long avec sa tête sur un coussin qu’il a lui-même amené à cet endroit. De cette manière, il se trouve qu’il encombre totalement le passage vers la chambre de Camille son esclave qui se prend d’ailleurs à tort pour sa maîtresse, chose qu’il n’arrive toujours pas à comprendre, mais bon. Comme c’est un chat de race maine coon gigantesque, il n’a aucune peine à occuper tout le passage du pas de porte. 


Malgré sa grande taille, il a un air très fragile. Est-ce juste une attitude pour amadouer Camille, car comme celle-ci semble persister à vouloir faire les choses à sa guise sans le consulter, il semble qu’il soit bien obligé d’avoir quelques stratégies pour obtenir ses faveurs de souverain félin ?
Par exemple, Camille lui a fait l’affront d’acquérir cet être bizarre qu’elle nomme Chanel, un chihuahua qui ressemble à un renard miniature mélangé avec un rat.


Désormais, cette espèce d’intrus, qui, malgré son poids de moustique, a pris l’habitude de saisir les moindres opportunités pour obtenir les meilleurs privilèges de Camille, a aussi le toupet d’aboyer pour se plaindre de son ami le félin, lorsque que ce dernier semble lui barrer la route. Il semble même que maintenant, Camille ait une préférence pour son petit toutou et ça c’est pire que tout. Comment peut-elle préférer cette espèce de rat déguisé en canidé, à sa sacro sainte royauté du règne des félins ? 


Ce jour là, Chanel aimerait aller vers sa maîtresse, mais il sait qu’il ne fait pas le poids face à son camarade qui est deux fois plus lourd que lui et qui lui barre la route. L’usage de la force n’est donc pas possible et le fait d’aboyer risque d’irriter Gaspard et de réveiller Camille qui fait sa sieste, ce qui pourrait lui valoir un coup de griffe du chat et peut-être une petite réprimande de Camille qui le gronde parfois, juste avant de lui faire un bisou sur sa petite tête. Comme il ne veut pas déranger Madame – qu’il aime de façon inconditionnelle, mais qu’il veut absolument entrer dans la pièce où se trouve sa maitresse adorée, il doit trouver un moyen de le faire par la ruse. Elle lui a pourtant concocté une place dans la cuisine avec un coussin douillet où il peut avoir directement accès aux biscuits qui se trouvent dans un tiroir juste au dessus de sa tête et que Camille n’oublie pas de lui donner quand elle finit sa sieste. Cette habitude s’est établie très vite et cela semble être un prétexte de guerre pour Gaspard, qui, même s’il fait mine de tolérer un chien dans son entourage, n’en pense pas moins. 


Sachant donc qu’il n’aura pas le dessus par la force ou les aboiements, Chanel se dit que seul le dialogue peut l’amener à ce que le chat le laisse passer pour aller dans la pièce où se trouve sa maitresse. Il s’approche du chat et commence à le renifler, puis à lui lécher les oreilles et ensuite les pattes. Gaspard ne dormait pas, mais il simulait, car son but n’était que de barrer la route à Chanel, qui semble maintenant faire de la basse flatterie pour obtenir ce qu’il veut.


Maintenant, la situation est claire, Gaspard s’est volontairement mis sur le pas de porte pour empêcher Chanel de passer.


— Tu perds ton temps, dit Gaspard, tu ne passeras pas cette porte.
— Je ne veux pas passer, je voulais juste que tu viennes avec moi faire un tour à la cuisine.
— Tu ne vois pas que je suis occupé ?
— A faire la sieste, tu appelles ça être occupé ?
— Oui, c’est ma nature de chat, je dois purger les mauvaises énergies et empêcher les mauvais esprits d’entrer dans la pièce, comprends-tu ?
— je crois surtout que tu es un gros fainéant.
— Tu ne connais rien à la vie des chats. Notre travail dans ce monde, est fondamental, tandis que toi qui est censé être un chien et aller en balade avec ma domestique pour qu’elle puise prendre l’air, tu t’es fait offrir une caisse pour faire tes besoins comme les chats. Tu ne fais pas honneur à ta race, donc tu peux continuer à t’agiter et brasser du vent, pour moi tu ne sers à rien du tout.
— Ah parce que toi qui passe 20 heures par jours à te vautrer, tu prétends que c’est du travail. Laisse-moi rire !
— Eh bien oui, ris si tu veux. Pour vous les chiens, il est normal de vous agiter et de courir dans tous les sens sans raison, tandis que nous les chats, nous travaillons de façon invisible pour pacifier l’air que vous brasser sans savoir pourquoi.
— Oui, bon, ok, tu as peut-être raison, mais en fait, je venais juste te dire qu’un autre chat – parfaitement inconnu – est venu manger dans ta gamelle.


D’abord Gaspard devient tout pâle, puis il bondit à la cuisine pour aller vérifier si c’est vrai. Arrivé sur place, il comprend qu’il s’est fait berné et quand il revient vers le pas de porte il voit Chanel qui s’est installé sur le fauteuil à côté de sa maitresse qui vient de se réveiller et qui lui fait des câlins.


— C’est l’heure de ton biscuit, n’est-ce pas, dit Camille à son petit toutou ?


Arrivé à la cuisine, Gaspard s’est confortablement installé sur le coussin du chihuahua et celui-ci se met à s’agiter et courir dans tous les sens pour manifester son désaccord. Gaspard fait semblant d’être réveillé par les aboiements du chien qui sont destiné à sa maitresse, sachant que le chat ne le craint pas. Le problème est que Gaspard et Chanel sont capables de se parler et de comprendre le langage de Camille, mais cette dernière est incapable de comprendre le langage de ses deux amis. Néanmoins les aboiements du chien font supposer à Camille que Gaspard est un intrus qui a pris sa place de petit privilégié.
— Ah, mais tu comprends, dit Camille à Chanel, Gaspard est un chat et il doit faire son job de chat qui consiste à purifier les lieux. Viens, nous allons faire une balade.


Trop content d’avoir eu gain de cause, Gaspard s’endort paisiblement pendant que Camille et Chanel font faire les cent pas dehors. Dans le fond, Chanel sait très bien que Gaspard est fourbe, mais il a réussi à sortir sa maitresse pour pouvoir aller faire une balade et dans sa nature de chien, c’est le bonheur.


Pour Chanel, l’essentiel est d’être avec sa maîtresse et quoi qu’il arrive, il est prêt à la suivre pour faire des balades même si parfois elle n’a pas assez de temps et qu’elle lui a concocté une caisse pour faire ses besoins comme les chats. Son véritable besoin est de rester auprès de sa maitresse et de pouvoir courir et jouer avec elle, le plus souvent possible.


Pour Gaspard, l’essentiel est d’être chouchouté par sa domestique et quoi qu’il arrive, il est prêt à faire les pires crasses à tous ceux qui essaient de prendre une place qui pourrait entraver le travail de sa dévouée servante à son égard. Son véritable besoin est de rester le plus longtemps possible dans le sommeil paradoxal, là où les choses les plus invraisemblables sont possibles, comme dévorer des chihuahuas par exemple.


Ceci dit, chacun selon sa nature va toujours forcément juger l’autre, mais il se peut qu’ils aient les deux raisons, ou alors qu’ils aient les deux tort.


Il serait fou d’imaginer un monde où tout le monde s’habillerait de la même façon, parlerait la même langue, mangerait la même chose et penserait de la même façon. 


Lorsque nous nous positionnons en donneur de leçon, est-ce pour donner de l’enseignement ou pour essayer de convaincre l’autre de trouver une voie, alors que nous mêmes nous ne sommes pas certain d’avoir trouvé la notre ? Cette question fondamentale a une certaine pertinence, sachant que nous sommes formatés à juger selon notre propre nature et très peu souvent éduqués à essayer de comprendre celle des autres.


C’est ainsi que nous passons beaucoup de temps à vouloir nous détourner de la folie des autres en pariant sur notre raison et que nous nous complaisons dans la facilité du jugement.


Même quand nous nous sentons appelés, il n’y a que les expériences vécues qui sont la référence de la vérité et celle-ci est toujours relative, car subjective.


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